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La réforme de l’union douanière au Colloque de l’association Collin de Sussy

Transport - Douane
17/11/2023
La proposition de réforme de l’Union douanière de la Commission est le sujet du matin du XVIe Colloque de l’association Collin de Sussy, placé sous le thème de « La nouvelle stratégie européenne en matière de politique douanière », qui s’est tenu à Bercy le 16 novembre 2023.
L’union douanière est au « carrefour de l’histoire », selon Marc Tertrais, le président de l’association Collin de Sussy qui ouvre le colloque. Et l’histoire de cette union douanière, qui demeure l’épine dorsale de l’Union européenne, « reste à écrire ». Il est bien sûr question de la proposition de réforme de cette union douanière et du Code des douanes de l’Union (CDU) du 17 mai dernier de la Commission européenne (voir Réforme de l’union douanière et du CDU : première présentation synthétique, Actualités du droit, 24 mai 2023). Cette proposition, assure le président, aboutira « à une évolution majeure du droit douanier et de ses pratiques ». Ce que confirme aussi Jean-Paul Bouquin, le président fondateur de l’association qui évoque une « étape décisive » d’un point de vue institutionnel, mais souligne aussi qu’elle ne doit pas occulter les coûts qui en découleront pour les opérateurs... qui en attendent en retour des gains et avantages et savent d’expérience que le temps de « l’entreprise » diffère de celui de l’administration.
 
Indispensable stratégie douanière européenne
 
Le Directeur général adjoint des douanes, Jean-François Dutheil, confirme l’utilité d’une « stratégie européenne en matière douanière », constatant « le retour d’un besoin de douane » après le Brexit (qui a entrainé, non pas la re-création d’une frontière, mais la réintroduction de formalités aux frontières), la pandémie de Covid (qui a mis en lumière la « capacité » d’approvisionnement de marchandises de première nécessité), la guerre en Ukraine (avec les sanctions contre la Russie) et l’explosion du e-commerce (qui représente 6 fois le fret cargo et nécessite de le réglementer et le contrôler). Utilité confirmée aussi selon lui par les nombreuses réglementations non douanières : des réglementation sectorielles et techniques que la Douane va appliquer en collaboration avec les ministères concernés et pour lesquelles elle agit en collaboration avec les autres administrations de l’UE et des États membres (par exemple, pour les plus récentes, le MACF et la lutte contre la déforestation importée, et pour un sujet à venir, la lutte contre le travail forcé). Dans ces domaines, la Douane participe à l’élaboration des textes et à la délivrance des documents d’ordre public (DOP).
 
Matthias Petschke, Directeur Douanes à la Commission européenne (Direction générale Fiscalité et Union douanière, ou TAXUD), confirme lui aussi l’aspect utile de cette stratégie en soulignant deux problèmes clefs qui expliquent que les Douanes étaient « de plus en plus coincées » dans le contexte précité. D’une part, la croissance du e-commerce : le « B to B » est remplacé par le « B to C » et les Douanes étaient « mal préparées » pour le traitement du volume des déclarations. D’autre part, la croissance du nombre des réglementations et restrictions (et donc des contrôles) que les Douanes doivent faire respecter dans des domaines non douaniers pour lesquels elles ne sont donc pas des « spécialistes » (il s’agit par exemple de répondre aux attentes de protection des citoyens, comme en matière de sécurité des jouets). De plus, la Commission a aussi fait le constat d’autres faiblesses : des procédures de plus en plus complexes et des mises en œuvre différentes au niveau national ; une gestion des données numériques différente selon les États membres ; une gouvernance fragmentée (absence d’harmonisation des approches pour les réglementations et sanctions et de dimension stratégique), etc. (sur ces points, voir le « retour rapide sur la genèse de la proposition » en fin de cette actualité). Et les conséquences en ont été évidemment tirées : perte de recettes pour le budget ; entrée de marchandises « illégales » dans l’UE (par exemple, des marchandises contrefaisantes) ; perte de compétitivité des industries, etc.
 
(Ré)Action et objectifs de la Commission européenne
 
Pour résoudre les problèmes constatés et remédier aux faiblesses, la Commission a élaboré le la proposition précitée qui vise en résumé : la simplification des procédures et une application homogène par les États membres (« act as one ») ; un « changement de paradigme » s’agissant de la gestion numérique (afin de mieux l’intégrer) et de l’utilisation des données avec le Data hub (plateforme des données) ; la création de l’agence européenne des douanes pour une harmonisation et une gouvernance interne à l’UE.
 
Matthias Petschke mentionne 4 chantiers principaux :
  • une nouvelle relation avec les opérateurs/commerçants « Trust and Check » ;
  • une nouvelle gestion des données avec le Data Hub ;
  • une nouvelle approche du e-commerce ;
  • une gestion douanière renforcée par la création de l’agence, ou autorité douanière de l’UE.
 
Sur le premier chantier, il souligne que la plainte des opérateurs économiques agréés (OEA) quant aux « avantages limités » de ce statut a été entendue et qu’avec les opérateurs « Trust and Check » introduits dans la proposition, on s’appuie plus sur les données des entreprises que sur les déclarations. C’est donc un changement des rôles : l’opérateur met à disposition des données et est responsable de leur fourniture (les représentants en douane enregistrés continuent d’agir en représentation directe ou indirecte).
 
Questionné sur un « lien » entre les OEA et les opérateurs « Trust and Check », Matthias Petschke mentionne une transition entre le statut existant et celui à venir : jusqu’en 2032, les opérateurs pourront postuler au statut d’OEA-C (simplifications douanières) et d’OEA-S (sécurité-sûreté) ; seuls les OEA-S vont continuer à exister après 2038, ne serait-ce qu’en raison des accords de reconnaissance mutuelle (ARM) sur l’OEA avec les pays partenaires dans lesquels ce statut est une condition pour bénéficier de simplifications ; enfin, s’agissant du statut d’OEA-C, il ne sera plus possible de le demander le statut en 2032.
Sur ce point, signalons l’article 26 « futur » CDU de la Commission qui précise : d’abord, jusqu’au 1er mars 2032, les Douanes peuvent accorder aux opérateurs le statut d'OEA-C et les autoriser à bénéficier de certaines simplifications et facilitations conformément à la législation douanière ; ensuite, au plus tard au 31 décembre 2037, les Douanes évaluent les autorisations valides des OEA-C afin de vérifier si leurs titulaires peuvent se voir accorder le statut de commerçant Trust and Check et, si ce n’est pas le cas, ce statut d'OEA-C est révoqué ; enfin, jusqu'à la réévaluation de l'autorisation ou jusqu’au 31 décembre 2037, la date la plus proche étant retenue, la reconnaissance du statut d’OEA-C reste valable, à moins que les articles 9 et 10 sur l'annulation, la révocation ou la modification des décisions s’appliquent.
 
Sur le deuxième chantier, la plateforme de données ou Data Hub, le Directeur Douane à la DG Taxud mentionne que, destiné à tous les opérateurs et les États membres, ce hub permettra une gestion commune des risques avec un tableau complet de la chaine d’approvisionnement (qui fait défaut aujourd’hui) et sera moins couteux à l’échelle de l’UE. Il indique en effet qu’on aboutirait à des économies au regard par exemple des 111 systèmes informatiques nationaux recensés dans l’UE qui devraient être « remplacés » ou adaptés : la plateforme unique réduirait leurs coûts qui pèsent en définitive sur les contribuables.
 
S’agissant des États membres qui n’ont pas fini de mettre en place la réforme informatique en cours du dédouanement et ont pu engager des investissements à cette fin, Matthias Petschke rassure : on leur « laisse le temps » pour leur permettre de finir leurs développements et il n’y aura pas d’investissement « mis à la poubelle » avec la mise en œuvre de la nouvelle plateforme en devenir.
 
Enfin, il indique la mise en place en 2023 d’une nouvelle task force pour le Data Hub et rappelle le calendrier de la réforme (sur ce dernier, voir notre actualité précitée sur la proposition et voir Projet de réforme de l’union douanière : des précisions de la DGDDI, Actualités du droit, 29 sept. 2023).
 
Et la protection des données ?
Sur le sujet, le Professeur Jean-Luc Albert (notamment directeur du master 2 Douane de l’université Aix Marseille) pointe le risque de « déshabillage de l’entreprise » : les opérateurs n’ont certes pas envie de « tout montrer » à la Douane, pas plus qu’elles n’ont envie de tout dévoiler à l’administration fiscale. Le représentant de la Commission rassure sur ce point estimant qu’« il faut le minimum » de données et précisant qu’avec le Data Hub, c’est une connexion qui est envisagée (et pas « un lac de données ») et que « le secteur privé n’attend que ça » selon les auditions réalisées auprès des opérateurs intéressés par l’institution européenne.
Pour le Directeur général adjoint des douanes, la relation avec l’entreprises change effectivement puisqu’on passe d’un système de déclaration à la Douane à un système où l’on va chercher la donnée chez l’opérateur : il faut donc bien sûr trouver un équilibre entre les exigences du « pouvoir régalien » de cette administration et la confidentialité des données pour l’opérateur (cela implique aussi une contrainte technique : la nécessaire interopérabilité des systèmes de la Douane et des opérateurs).
 
Sur le troisième chantier, le e-commerce et la suppression du seuil de franchise des 150 euros, l’effet attendu, selon le représentant de la Commission, tient à l’urgence du traitement de la croissance du commerce en ligne (et du nombre de déclaration) pour éviter les contournements par le « découpage des envois » (qui a d’ailleurs aussi un impact écologique). Toujours selon Matthias Petschke, l’aspect financier est « secondaire » (même si le budget de l’UE en profiterait) et un autre but serait aussi de rééquilibrer les relations des entreprises entre celles qui importent en gros (« B to B ») et celles qui fonctionnent en « B to C », permettant un retour à une situation concurrentielle plus normale, avec une taxation égale des mouvements commerciaux. Enfin, serait résolu aussi le problème du consommateur européen actuellement mal protégé s’agissant du respect des règles de sécurité des marchandises avec le e-commerce.
 
Enfin sur le quatrième chantier, l’agence ou autorité douanière de l’UE, Matthias Petschke répond aux inquiétudes de certains opérateurs qui voient dans sa création l’introduction d’un nouvel interlocuteur ajoutant donc une complexification supplémentaire ou inutile. Mais pour lui, c’est tout le contraire : l’union douanière sera plus efficace en termes de gouvernance et la plateforme sera gérée par l’agence qui n’aura pas de lien avec le secteur privé.
 
Pour le Directeur général adjoint des douanes, l’agence est une « ambition partagée » par son administration en ce qu’elle peut apporter une homogénéité, une harmonisation en matière de réglementation et de contrôle. Il y aurait un « consensus global » dans les États membres de l’UE, avec « quelques résistances ici où là » selon Jean-François Dutheil, l’idée force étant selon lui à la fois « qu’elle ne lèse personne et qu’elle ne laisse personne de côté ».
 
Retour rapide sur la genèse de la proposition
Rappelant que la proposition de la Commission est inspirée notamment du rapport du « groupe des sages » de 2022 dont il a fait partie, le Préfet Emmanuel Barbe revient sur le contenu de ce rapport et son esprit (voir Colloque douanier de l’ODASCE : ce qui attend les opérateurs de 2023 à 2030 au moins, Actualités du droit, 24 nov. 2022). Il souligne que, même si la Commission a constitué ledit groupe, celui-ci n’a pas été sa « plume », notamment parce qu’il a « égratigné » l’institution dans son rapport en pointant par exemple en particulier l’absence d’une agence européenne des douanes et quelques « faiblesses ».
Matthias Petschke confirme le « rôle d’impulsion » du rapport du « groupe des sages », rapport d’ailleurs non contesté ce qui est selon lui « remarquable » : ce document a donc permis un « prise de conscience collective » et a créé ainsi une « opportunité de réformer les douanes » ! Bien sûr, d’autres événements antérieurs s’inscrivaient en faveur de cette réforme, notamment par exemple le plan d’action pour 4 ans présenté par la Commission en 2020 (voir par exemple, Commission européenne, Communiqué de presse, 28 sept. 2020).
 
 
Source : Actualités du droit