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Réforme douanière et supply-chain : « rien ne remplacera le contrôle physique », estime le sénateur PCF Éric Bocquet

Transport - Douane
09/06/2023
Sanction visant les infractionnistes du fret postal et express, utilisation de drones, lutte contre la fraude à la détaxe de la TVA : le Sénat vient d’adopter en première lecture le projet gouvernemental de réforme de la douane (voir BTL n° 3926 et 3927, p. 291 et 309). Le sénateur Éric Bocquet (PCF) pointe les carences d’une réforme qui vante les nouvelles technologies au détriment du degré d’action des agents.
Bulletin des transports : Le ministre des Comptes publics Gabriel Attal présente la réforme de la douane comme capitale pour donner à ses agents les moyens de faire face aux nouvelles menaces. Vous cautionnez ?
Éric Bocquet : Tout cela est un affichage d’objectifs ambitieux assorti d’effets de communication tonitruants. Avec son contrat d’objectifs et de moyens (2022-2025), le gouvernement veut donner la priorité à l’intervention des douanes dans le e-commerce, relever ainsi 32 500 infractions dans le fret express et postal à l’horizon 2025 et scanner l’intégralité des colis postaux venant de pays non européens. Mais où sont les moyens déployés pour contrôler comme il conviendrait cet énorme flux de colis dans l’espace européen ?
Avec mes collègues du groupe communiste, nous avons rencontré les syndicats des douaniers (Sud et CGT) : selon leurs chiffres, 6 conteneurs seulement sur 5000 font l’objet chaque année d’un contrôle physique aléatoire sur le port du Havre. Rien ne remplacera le contrôle physique sur un conteneur ou un colis ! Nous sommes loin du compte, on peut constater la disproportion entre la capacité effective et les moyens réels utilisés, au-delà de la digitalisation et de la traçabilité des marchandises.

BTL : L’article 60 du Code des douanes est intégralement réécrit dans le texte pour sécuriser le droit de visite. Le Sénat plébiscite la lutte contre la fraude à la détaxe de la TVA. Qu’en pensez-vous ?
E. B. : La TVA est l’impôt le plus fraudé, notamment en matière de détaxe de TVA au départ de la France. D’après les estimations de la Commission européenne, cela représenterait 20 à 25 Md€. Le rapporteur Albéric de Montgolfier (LR) le souligne régulièrement. Conséquence directe de l’explosion du e-commerce, la fraude est facilitée. Les moyens de contrôle doivent donc évoluer en même temps que les technologies de la fraude. Cela nécessite un renforcement des échanges d’informations avec l’autorité judiciaire ou la police mais aussi une coopération renforcée au niveau des États membres. Pourquoi exempter de TVA le commerce intracommunautaire ? Il faut y réfléchir.

BTL : Approuvez-vous l’usage de drones pour lutter contre les trafics de tabac aux frontières ?  
E. B. : Oui, dès lors qu’il est bien encadré par des douaniers habilités. Je n’ai pas compris comment un drone sera capable d’identifier un véhicule chargé de cigarettes de contrebande à la frontière. Quelle utilisation pourrait être faite de cette nouvelle technologie ? De plus, les contrôles douaniers ne pourraient s’effectuer que sur le réseau autoroutier. Le texte crée la faille qui va permettre aux réseaux criminels de le contourner.  
La gauche sénatoriale s’est unanimement opposée à la création d’une « réserve opérationnelle » douanière qui devrait comporter environ 300 réservistes à terme. Pour quelles raisons ?  
Nous étions opposés à cette réserve opérationnelle qui ne remet pas du tout en cause la trajectoire globale de diminution des effectifs douaniers. Depuis vingt ans, l’administration douanière a perdu le plus d’emplois stables et qualifiés. Cette « réserve opérationnelle » est prévue, en théorie, en cas de pics d’activité, mais l’activité douanière est à son pic en permanence ! On contourne les règles de la LOLF (1) tout en continuant à donner des moyens précaires à la douane. C’est un artifice. Cette « réserve opérationnelle » ne va pas répondre aux besoins humains nécessaires pour les contrôles physiques, l’ouverture des conteneurs, la fouille des véhicules. Cela nécessite du personnel qualifié, assermenté et habilité.  

BTL : Les effectifs seraient-ils le nerf de la guerre contre les fraudes douanières ?
E. B. : Les syndicats Sud et CGT nous ont remis la carte des agences douanières sur le territoire français, qui montre que dans certains départements transfrontaliers, il n’y a aucune présence douanière. D’accord, dans le projet de loi, demeure le droit de fouiller des marchandises et des personnes en zone frontière, dans les infrastructures d’échanges comme les gares et dans la zone géographique du  « rayon des douanes ». Mais notre amendement, qui n’a pas été retenu, proposait de porter ce « rayon des douanes » de 40 à 60 km.

BTL : Pour quelles raisons multipliez-vous  les réserves sur ce projet de loi ?
E. B. : Sur le fond, nous avons une réserve vu l’explosion des flux et de la liberté de circulation des marchandises sur le territoire national. Il ne faut pas être naïf ! Au-delà de la digitalisation et de la traçabilité des marchandises, regardez la disproportion entre la capacité effective et les moyens réels utilisés ! Le texte va arriver à l’Assemblée nationale la semaine du 19 juin. Je crains que les députés ne le vident de sa substance.

(1) La Loi organique relative aux lois de finances (LOLF, L. n° 2001-692, 1er août 2001, NOR : ECOX0104681L, JO 2) fixe aux lois de finances l’objectif de déterminer « pour un exercice, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État, ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte », dans les conditions et sous les réserves qu’elle-même prévoit.

Propos recueillis par Louis Guarino
Source : Actualités du droit